Et voilà, les p’tits gars, tout cela est arrivé comme je vous l’ai raconté, un beau vendredi de fin d’été, juste avant la rentrée de l’année passée.

Depuis, j’ai eu le temps de repasser tout cela dans ma tête, et plusieurs pièces supplémentaires ont trouvé leur place sur le puzzle géant. Je crois savoir à présent pourquoi Boule, par exemple, avait pu initialement tromper ma vigilance : les manipulations mentales n’agissaient pas toutes de la même manière. Pour certaines victimes, l’effet devait être immédiat. Pour d’autres, la crise devait se déclencher plus tardivement, de façon brutale et inattendue. Un geste malheureux ou une question a priori inoffensive suffisait. C’est à mon avis ce qui s’était produit pour mon pote Boule.

Qui était responsable de ces manipulations　? C’est difficile à affirmer, même si j’ai à présent ma petite idée. Il y a encore tant de mystères irrésolus, sur Terre et ailleurs…

Ce que je sais en revanche, c’est que dès le lendemain, ce satané Photomaton avait disparu. Plus aucune trace, comme s’il n’avait jamais existé. Aucune plainte pour destruction de propriété n’a jamais été déposée, aucune enquête effectuée. Peut-être ont-ils réinstallé la cabine autre part, à la recherche de nouveaux cobayes ?

La vie a repris son cours habituel dans ma famille. Les mois ont passés – un an jour pour jour pratiquement -, mais je ne parviens toujours pas à leur parler de quoi ce soit. Malgré l’affection qu’il me porte, j’ai peur de leur réaction. Un de ces jours bien sûr, il faudra que je franchisse le pas…

Avec mon pote Boule, c’est différent : j’ai tenté plusieurs fois d’aborder le sujet, mais il ne se souvient de rien, pas même de ma visite cette fameuse soirée-là.

J’espère de tout mon cœur que vous me croyez. Vous me direz qu’entre deux explications, il faut bien souvent choisir la plus simple, et que toute mon histoire pourrait se résumer à mon imagination nourrie par mes lectures, à des choses entendues dans mon sommeil, et à une de ces crises de somnambulisme avec escapade nocturne qu’il m’arrivait (et qu’il m’arrive encore) d’avoir parfois.

J’étais très fatigué cet après-midi-là, c’est vrai, et j’aurais très bien pu m’endormir sur la table de la cuisine pour ne me réveiller que le lendemain, porté par mon père jusque dans ma chambre.

Mais je ne crois pas à cette hypothèse : le lendemain de cette fameuse nuit, j’ai retrouvé dans mes cheveux un éclat de Plexiglas gros comme une tête d’épingle. D’où pouvait-il provenir sinon du Photomaton ?

J’ai changé. Je suis devenu attentif aux moindres changements de comportement de mes proches, à leurs plus petits trous de mémoire. Je mène une vie heureuse entouré de ma famille et des mes amis, mais je reste sur mes gardes, car malheureusement je ne sais que trop bien, moi, Valentin, treize ans et onze jours au moment des faits, ce qui se dissimulait réellement au centre commercial la Promenade des Cygnes, à l’affût d’innocentes victimes humaines, dans l’ombre, à gauche de la librairie…

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