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Il était tard dans l’après-midi, les rues commençaient à se vider, je n’ai croisé personne que je connaissais, qui aurait pu m’aider, me rassurer.
Je suis passé comme un zombie devant la librairie le Cahier Bleu. Ils étaient toujours là, dans la vitrine, La malédiction d’old Haven et La Conspiration de Merlin, ces deux sacrés bouquins aux titres alléchants qui me narguaient depuis des semaines, mais ce jour-là, je n’y ai prêté aucune attention.
FERMÉ EXCEPTIONNELLEMENT
TOUTE LA JOURNÉE
J’ai mis quelques secondes à enregistrer l’information. Puis j’ai fini par comprendre que ma chère bibliothèque, mon lieu favori entre tous, avait elle aussi décidé de me traiter en étranger.
Pour comble de malchance, fichues averses d’été, il s’est mis à pleuvoir violemment. Le temps que je traverse la rue pour me réfugier sous le porche d’en face, le déluge m’avait transformé en entité mutante mi-éponge mi-être humain, aux pieds lourds et informes (car – rappelez-vous – j’avais toujours mes chaussons).
J’ai laissé passer l’orage, frissonnant et claquant des dents, j’ai machinalement essuyé mes lunettes et soudain j’ai réalisé :
Ma petite sœur Julie.
Et s’il lui était arrivé la même chose ?
D’accord, elle ne risquait rien en principe du côté de ma mère, puisque cette dernière avait mentionné son nom, et donc, semblait se souvenir qu’elle avait une fille. Mais du côté de mon père, c’était différent…
J’ai frissonné à nouveau, et cette fois, l’orage n’y était pas pour grand-chose.
Je suis parti comme une fusée direction la maison, sans attendre d’être absolument sûr que j’avais le courage pour le faire. J’ai coupé au plus court, dans ce quartier piétonnier que je connaissais par cœur, bousculant au passage (ce n’est pas bien, mais c’est comme ça) un ou deux grands-pères qui ne se rangeaient pas assez vite. Je lançais à la volée des s’cusez-moi m’dame et des pardon m’sieur, battant le pavé – Schponch ! Schponch ! – dans une cavalcade de bruits de succion dégoûtants.
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